Le Cheikh chiite shiraziste Yasser al-Habib, originaire du Koweït, vit au Royaume-Uni. Il a été déchu de sa nationalité koweitienne en 2010 pour avoir tenu des propos jugés offensants par les sunnites.
Les shirazistes considèrent le terrorisme comme un héritage des premiers califes. L'un de leurs rituels consiste d'ailleurs à célébrer la mort d'Omar, compagnon de Mahomet et 2e calife, vu comme un pécheur, un assassin, un meurtrier génocidaire, un terroriste et un tyran. Les shirazistes sont également anti-Khomeinistes.
Les sunnites, pour qui Omar est l'un des califes «bien guidés», accusent al-Habib d'être un «prêcheur de haine». La chaîne satellitaire Fadak TV fondée par al-Habib a fait l'objet d'une enquête des autorités réglementaires anglaises pour «propagande haineuse» suite à des plaintes de sunnites et de Khomeinistes.
Dans cet extrait d'une interview donnée en mai 2014 en réponse à la campagne de désinformation dans les médias, al-Habib présente sa secte comme «l'opposition historique au sein de l'islam», et revendique avec d'excellents arguments, leur droit à la liberté d'expression. L'interview a été menée par le chercheur britannique James Abbott:
Al-Habib fait valoir que la critique des figures considérées comme sacrées par certains, n'équivaut pas à la haine de ceux qui les vénèrent. Il dénonce le «terrorisme intellectuel», et le véto des voyous et des assassins en donnant l'exemple du réalisateur hollandais Theo Van Gogh, assassiné par un musulman extrémiste pour avoir fait un film critiquant l'islam.
Il ajoute que la liberté de critiquer les opinions religieuses et les symboles religieux sacrés est essentielle pour assurer une société pacifique et démocratique, et que le gouvernement doit défendre et protéger cette liberté contre ceux qui voudraient recourir à la violence pour censurer leurs contradicteurs.
Traduction de l'interview du cheikh Yasser al-Habib par James Abbott:
Habib: Le monde entier souffre du terrorisme, qui, malheureusement, émane des communautés musulmanes. Si nous étudions le sujet attentivement, nous découvrons que certains enseignements amènent des musulmans à devenir terroristes. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur la critique de ces personnages, qui, selon nous, en sont responsables. La critique de ces personnages permet de détourner les gens de ces enseignements. Et cela amènera le retour de l'islam pacifique et la disparition du terrorisme. Imaginez quel grand objectif ce serait!
Abbott: Oui, mais croyez-vous qu'il soit nécessaire d'aborder des sujets aussi sensibles ? Ne serait-il pas suffisant de critiquer le calife Omar ibn al-Khattâb au lieu de célébrer sa mort ?
Habib : Pour atteindre notre objectif, nous exécutons ces rituels afin d'attirer l'attention des gens. Il faut également savoir que ces rituels ne sont pas une innovation récente. Nous considérons qu'ils font partie de nos célébrations religieuses, et nous les exécutons depuis plusieurs siècles. Tout cela est documenté dans des sources historiques fiables. Si on nous demande pourquoi nous insistons sur ces rituels, je vous répondrai qu'outre le fait qu'ils font partie de notre patrimoine religieux, nous sommes conscients que les gens n'y porteraient pas attention si nous nous contentions de les mettre par écrit. Des livres critiquant ce tyran (Omar) ont été écrits il y a plusieurs siècles, mais qui les lit aujourd'hui ?
Abbott : Un «tyran» ?
Habib : Oui, c'est un tyran. Selon les récits historiques, il a ordonné la destruction totale d'un village nommé «Arab Soos». Il a ordonné le massacre de la population entière, la destruction de leurs maisons, et que tous les arbres soient brûlés. Et cela, tout simplement parce que la population du village avait contesté certaines de ses décisions. Il a ordonné le meurtre de tous les enfants en Irak, à l'exception des musulmans arabes, dont la taille excède 130 cm. Comment ne pas considérer une telle personne comme un tyran ?
Qui peut nous blâmer de célébrer la mort d'un tyran et criminel de guerre tel que Omar al-Khattâb ? Je crois qu'il faut plutôt blâmer ceux qui respectent un tel individu, et qui forcent les autres à le respecter. Il est de notre devoir religieux de dénoncer de tels personnages.
Abbott : Qu'en est-il de ceux qui réfutent ces allégations et considèrent que ces sources historiques sont inexactes ?
Habib : Ceux qui réfutent ces narrations, qui proviennent pourtant de sources bien connues et authentiques, doivent permettre aux autres de leur répondre et de prouver leur point de vue. Cela revient à leur ouvrir la porte de la critique religieuse. C'est exactement ce que nous voulons. Ils peuvent défendre Omar comme bon leur semble, et nous pouvons le critiquer comme bon nous semble. Nous pouvons soutenir nos arguments de manière pacifique.
Abbott : Même si cela est vrai, cela pourrait alimenter des sentiments de colère et possiblement mener à des actes violents. À titre d'exemple, si un sunnite décidait de vous tuer, vous sentiriez-vous responsable ?
Habib : Cela revient à dire que Theo Van Gogh, le réalisateur hollandais, est responsable de sa propre mort. Il a fait un film critiquant l'islam et ses actions, ce qui lui a valu d'être brutalement assassiné par un jeune extrémiste musulman. Pouvons-nous accepter un tel raisonnement, selon lequel Van Gogh est responsable de sa propre mort ?
Abbott: Non, bien sûr que non.
Habib : Croyez-vous que la Hollande aurait dû interdire à Van Gogh d'exprimer librement son point de vue et de critiquer l'islam, puisque ses paroles ont entraîné des problèmes dans le monde musulman, au point où des églises et des mosquées ont été brûlées ?
Abbott : C'est exactement sur cela que j'aimerais avoir votre opinion.
Habib : J'estime que la libeté d'expression est un droit sacré pour tous les êtres humains. Si un groupe n'accepte pas la critique et permet qu'elle mène à la violence, il revient alors au gouvernement de leur enseigner comment accepter la critique, à l'instar de ce que fait la Hollande présentement. Nous devons tous apprendre à accepter la critique de nos croyances et opinions. C'est comme cela que nous pourrons vivre en paix. La plus grave erreur serait de se soumettre aux pressions et de supprimer la liberté d'expression en disant aux gens qu'ils ne peuvent critiquer les croyances d'autrui au motif qu'ils sont inflexibles et pourraient leur faire du tort ou user de violence à leur endroit. C'est une mauvaise approche, et un signe de faiblesse. Est-ce le genre de société que nous voulons ?
Abbott : Ce que nous voulons, et je suis certain que tout le monde le veut, c'est une société libre de discours de haine.
Habib : Et en même temps, une société qui jouit de la liberté d'expression et d'opinion, n'est-ce pas ?
Abbott : Oui, mais est-il possible d'atteindre un tel équilibre ?
Habib : Un tel équilibre est facilement atteignable en formulant des définitions précises de la liberté d'expression et du discours de haine.
Abbott : Selon vous, comment peut-on les définir ?
Habib : Je suis d'avis que la liberté d'expression a des limites : on ne peut pas encourager les actes de violence ou de racisme. Cela ne fait pas partie de la liberté d'expression. Quant au «discours de haine», il s'agit d'une notion relative. Ainsi, l'expression de haine envers des figures du nazisme comme Hitler est bénéfique pour la société, car cela décourage la sympathie envers le nazisme. Il est toutefois inacceptable de qualifier de «discours de haine» ce qui est tout simplement l'expression d'une opinion divergente.
Abbott : C'est ce que vous reprochent vos détracteurs. Ils vous accusent de répandre la haine parmi les musulmans sunnites.
Habib : C'est absolument faux. Je ne les hais pas. En fait, je les considère comme mes frères et je leur souhaite ce qu'il y a de mieux. Je l'ai souvent dit dans mes sermons et mes écrits. Comment puis-je les hair alors que je les invite à prier dans nos mosquées ? Saviez-vous que la tutrice spéciale de mes enfants appartient à leur secte ? Si je les détestais, est-ce que je permettrais qu'une sunnite vienne dans ma maison et enseigne à mes enfants ?
Abbott: Désolé, vous ne m'avez pas convaincu. Vous dites que vous n'êtes pas un prêcheur de haine, mais vous ciblez délibérément les symboles religieux sunnites sacrés.
Habib : La notion de «sacré» est également relative. Ce qui est «sacré» pour les uns, n'est pas sacré pour les autres. Si l'on interdit la critique d'un symbole considéré comme sacré par certains, ce symbole devient sacré pour tout le monde. Les gens qui ne le considèrent pas comme sacré n'oseront pas le critiquer, de peur d'être qualifiés de «prêcheurs de haine». C'est ainsi que nous reculerons au Moyen-âge. Il s'agit de «terrorisme intellectuel».
Imaginez qu'une loi serait adoptée afin d'interdire la critique d'Hitler au prétexte qu'il est devenu un symbole sacré pour une secte au Royaume-Uni ou en Europe, ou que la critique mènerait à la violence car Hitler a encore de nombreux partisans. Comment pourrions-nous nous respecter si nous adoptions une telle loi ?
Nous sommes appelés «Ceux qui rejettent». Nous nous considérons comme l'opposition islamique historique. L'opposition n'a-t-elle pas le droit de s'exprimer ouvertement ? Nous voulons que notre droit à être l'opposition soit protégé. Permettez-moi d'être clair : bien que je rejette leurs symboles sacrés, je ne rejette pas les fidèles qui adoptent ces symboles. J'ai le droit de juger des figures historiques, même si d'autres ne sont pas d'accord avec mon jugement.
Abbott: D'accord. Mais les sunnites ne considèrent pas ces figures historiques comme des chefs de guerre maléfiques. Ils ont une interprétation différente de la vôtre.
Habib : Les symboles sacrés des autres peuvent représenter pour moi le mal et l'oppression, et vice versa. Tout comme ils ont le droit d'appeler les gens à suivre leurs symboles sacrés, j'ai aussi le droit de les critiquer et d'inviter les gens à les rejeter. Chacun a le droit de défendre ses symboles sacrés comme il l'entend, mais personne n'a le droit d'inciter à la violence contre ceux qui rejettent leurs symboles. Cela entrave la liberté d'expression.
Nous sommes l'opposition historique dans l'islam. N'avons-nous pas le droit, en tant qu'opposition, d'exprimer nos vues et opinions ? Il est connu dans le monde entier que l'opposition a toujours le droit d'exprimer son opinion, sinon on se dirige vers la dictature.
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A titre d'information complémentaire, voici une vidéo où le Cheikh al-Habib explique pourquoi les chiites maudissent le calife Omar. Le rejet du calife Omar, vénéré par les sunnites, est l'une des différences fondamentales entre les chiites et les sunnites:
Source : English Researcher interviews Sheikh Yasser al-Habib in the Minor Land of Fadak, Alqatrah.net, 29 mai 2014. Traduction par Poste de veille
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